La voix de l'animal...9


condition humaine, mais seulement à la condition des animaux non-humains. Cette description ne peux pas évacuer les animaux non-humains, car aussi exploités que soient les ouvriers humains,  ils ne sont pas abattus, tout au moins dans la plupart des cas,  lorsqu’ils ne sont plus considérés efficaces.  

L’un des formules les plus remarquables et les plus célèbres du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels est que «Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes» (23).
Leur première réaction fut de se lancer au galop tout autour de la propriété, comme pour s'assurer qu'aucun humain ne s'y cachait plus. Ensuite, le cortège repartit grand train vers les dépendances de la ferme pour effacer les derniers vestiges d'un régime haï. Les animaux enfoncèrent la porte de la sellerie qui se trouvait à l'extrémité des écuries, puis précipitèrent dans le puits mors, nasières et laisses, et ces couteaux meurtriers dont Jones et ses acolytes s'étaient servis pour châtrer cochons et agnelets. Rênes, licous, œillères, muselières humiliantes furent jetés au tas d'ordures qui brûlaient dans la cour. Ainsi des  fouets (…) (24)

Cette description élaborée montre la différence entre les chaînes métaphoriques qui entravent les prolétaires et les chaînes matérielles utilisées pour contrôler les animaux non-humains. La comparaison n'occulte pas l’exploitation des animaux non-humains mais montre son caractère unique et attire l’attention sur celle-ci.

Comme je l'ai mentionné plus haut, la seconde partie de La ferme des animaux n’est pas réaliste - de fait, les cochons ne gouvernent pas d’autres animaux. Il est évident que la fonction des derniers événements de l’histoire est allégorique.  Mais l’interprétation anti-soviétique n’est pas la seule possible. Il est souvent avancé que la fonction thématique de la Ferme des animaux va au-delà de la simple critique de l’union soviétique - elle condamne les dictatures pour ce qu’elles sont. Le fait que le cochon-dictateur de l’histoire s’appelle Napoléon est en faveur de cette approche (25). Ainsi, une fois encore, nous pouvons voir l’esclavage des animaux non-humains (et les animaux de ferme en particulier) comme le symbole, le prototype, de l’esclavage en général. C’est en fait un choix très raisonnable, une fois que nous avons admis que l’agriculture inclut des pratiques de contrôle et d’exploitation sans pareil, telles que mutiler, tuer, séparer les parents de leur enfants, empêcher les animaux de s’accoupler ou les forcer à se reproduire, et les dénaturer génétiquement par la sélection artificielle.

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23. Marx, Karl et Friedrich Engels. Le Manifeste du Parti Communiste, texte intégral en ligne
24. Orwell, George. op. cit.
25. Fergenson, Laraine, op. cit., p.112 ; Meyers, Jeffrey, op.cit., p. 135