Les animaux chez Tolstoï


par Josephine Donovan 


https://drive.google.com/file/d/0Bwn3XdA6tlTJS2NVek40T1NvNDQ/view?usp=sharing



Introduction



Ces dernières années, des critiques sensibles à la question animale ont posé les premières bases théoriques d’une nouvelle orientation de la critique littéraire, une critique centrée sur les animaux ou adoptant le point de vue des animaux1. Ces critiques tentent d'examiner les œuvres littéraires sous l'angle du traitement des animaux, en cherchant souvent à reconstruire le point de vue des animaux en question. Parce qu’elle est éthique et politique, la critique adoptant le point de vue des animaux à la manière de la critique marxiste ou féministe questionne les représentations idéologiques des personnages animaux. Là où, dans les textes, la critique féministe révèle un sexisme inhérent et la critique marxiste, un préjugé de classe inhérent, la critique centrée sur l’animal identifie les représentations et formulations spécistes. Elle critique l’utilisation métaphorique lorsque celle-ci est anthropocentrique, éludant le caractère subjectif et la réalité indépendante de l’animal ; de plus, elle souligne la cécité et le silence des auteurs lorsque les animaux sont traités comme de simples éléments de décor, plutôt que comme des présences subjectives.

Critiquer l’exploitation esthétique des animaux - c'est à dire le fait d'utiliser leurs réalités métaphoriquement ou allégoriquement ou pour commenter de façon métonymique des situations humaines – revient à critiquer une bonne partie de la littérature existante. Utiliser ainsi des figures animales dans la littérature est une pratique consacrée par l’usage. En effet, il est difficile d’imaginer comment les poètes ou les auteurs de fiction procèderaient s’ils étaient privés de la métaphore animale. Utiliser la mort et l’agonie des animaux pour commenter l’état émotionnel d’un protagoniste humain continue d’être un procédé fictionnel standard.
  
Les critiques

Le point de vue des animaux

Récemment, plusieurs critiques adoptant le point de vue des animaux  ont contesté l’exploitation esthétique de la douleur animale. Dans un ouvrage novateur dans ce domaine, Scholtmeijer a choisi, comme exemple flagrant de cette pratique, le traitement des taureaux par Hemingway dans Le soleil se lève aussi.

Les taureaux ne sont que des objets animés dans un spectacle artistique. Envisagé comme un art, le spectacle dans l’arène ne fait pas que passer outre la souffrance animale ; en fait, il la fait disparaître puisque l’événement tout entier n’est qu’une interaction entre des forces géométriques abstraites2

Dans un autre ouvrage pionnier, Norris suggère que dans Mort dans l’après-midi, Hemingway conçoit la corrida comme une forme d’art, avec l'artiste en sadique, le « matador faisant littéralement œuvre d'art à partir de la torture et de la mise à mort »3. Simons, autre précurseur de la critique adoptant le point de vue des animaux, avance que nous avons besoin d’un nouveau champ d’étude littéraire qui inclut les «  droits des animaux » comme une priorité, analysant le « texte culturel » pour y trouver « les traces des animaux »4 . Une telle approche, recommande-t-il, cherchera des textes dans lesquels les animaux ne sont pas «  des figures de substitution pour les humains ». « Le symbole est, peut-être, la forme la plus courante de représentation des animaux »5 ; Cependant, Simons proteste : « les animaux ne sont pas des symboles »7.
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1. Les principaux travaux qui tracent cette nouvelle direction comprennent ceux de Adams (1991), Baker (2001), Donovan (2004), Fudge (2000, 2002), Kowalski (1991), Malamud (1998), Mortensen (2000), Murphy (1995), Norris (1985), Perkins (2003), Scholtmeijer (1993, 2000), Shapiro et Copeland (2005), Simons (2002), et Vance (1995). Voir Donovan (2006) pour une analyse approfondie de la [théorie] du point de vue des animaux.
2. M. Scholtmeijer, Animal victims in modern fiction: From sanctity to sacrifice, p. 269.
3. M. Norris, Beasts of the modern imagination: Darwin, Nietzsche, Kafka, Ernst, and Lawrence, p. 11, 12.
4. J. Simons, Animal rights and the politics of literary representation, p 5.
5. Ibid., p. 6.
6. Ibid., p. 115.
7. Ibid., p. 7. 



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* Essai paru en 2009 dans Society & Animals (vol. 17, n°1) sous le titre « Tolstoy’s Animals », traduit par Marceline Pauly et publié sur le blog Les animaux dans la fiction, avec la permission de l’éditeur BRILL et de Josephine Donovan.

Ill. « Kholstomier, histoire d’un cheval »,

Tolstoï, édition russe de 1950


Josephine Donovan, professeur émérite d'anglais à l'Université du Maine, a écrit de nombreux essais et livres dans les domaines de la critique littéraire féministe et de l'éthique animale et co-dirigé, avec Carol J. Adams,  plusieurs ouvrages parmi lesquels :





http://cup.columbia.edu/book/the-feminist-care-tradition-in-animal-ethics/9780231140393https://www.bloomsbury.com/us/beyond-animal-rights-9780826412591/
https://www.dukeupress.edu/animals-and-women