La voix de l'animal...10


Dans sa préface à l’édition ukrainienne de La ferme des animaux, Orwell décrit les circonstances dans lesquelles il a écrit cette histoire :
Je vis un petit garçon, âgé de dix ans peut-être,  conduisant un énorme cheval de trait sur un sentier étroit, et le fouettant à chaque fois qu’il essayait de tourner. Il m’apparu que si de tels animaux prenaient conscience de leur force nous n’aurions aucun pouvoir sur eux, et que les hommes exploitaient les animaux de la même  manière que le riche exploite le prolétariat. J’ai entrepris l’analyse de la théorie de Marx du point de vue des animaux. Pour eux, il était clair que le concept de lutte des classes entre humains était pure illusion, puisqu’à chaque fois qu’il était nécessaire d’exploiter les animaux, tous les humains s’unissaient contre eux ; la vraie lutte se situe entre les animaux et les humains. Partant de cette constatation, il n’était pas difficile d’élaborer l’histoire. (26)
Il semble qu’Orwell lui-même se soit intéressé aux implications de son histoire sur la condition des animaux non-humains. Nous ne pouvons pas dire avec certitude si d’autres auteurs de fables s’intéressaient aussi à ces implications, mais au moins certaines fables animalières - le plus souvent celles qui présentent des relations entre des humains et d’autres animaux - nous donnent les moyens de faire entendre la voix de l’animal non-humain derrière la fable animalière. Les animaux non-humains n’ont pas à être transparents ; nous pouvons choisir de les voir au lieu de voir à travers eux.

Comme tout autre texte littéraire, le sens et la portée de la fable ne proviennent pas exclusivement du texte écrit mais naissent de l’interaction entre le texte et ses lecteurs. Par conséquent, l’interprétation anthropocentrique traditionnelle des fables résulte, au moins en partie, du préjugé spéciste de leurs interprètes. Dans bien des cas, l'interprétation spéciste peut être évitée. Certaines fables nous offrent une compréhension alternative, qui prend en compte les animaux non-humains et ne les réduit pas à des personnages ou problèmes humains.

Si nous essayons d’apercevoir l’existence non-humaine derrière les personnages anthropomorphisés, nous pourrons apprendre des choses sur les animaux non-humains et sur nos relations avec eux. Nous pourrions toujours utiliser les fables animalières afin  de comprendre allégoriquement des problèmes humains, mais nous pourrions le faire parallèlement à notre intérêt pour les animaux non-humains, sans les néantiser. De cette façon, au lieu d’une lecture basée sur des stéréotypes animaliers et une compréhension passive de messages explicites, nous atteignons une compréhension à niveaux multiples, qui développe à la fois l’empathie pour les animaux non-humains et des méthodes de lecture critique.


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26. Orwell, George. "Author's Preface to the Ukrainian Edition of Animal Farm" in  The Collected Essays, Journalism and Letters of George Orwell, ed. par Sonia Orwell and Ian Angus (Penguin Books in association with Secker and Warburg, 1970), p. 458-9.


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