La voix de l'animal...6


Comme je l’ai dit précédemment, les fables qui traitent des interactions entre non-humains et humains peuvent se concentrer sur le niveau littéral de la fable. De plus, ces fables ont aussi la capacité d'étendre la leçon à des questions interspécifiques. Les fables qui présentent des interactions entre animaux non-humains uniquement n’ont pas d’implication morale ; les animaux non-humains (ainsi que les bébés et certaines personnes atteintes de lésions cérébrales) sont des patients moraux, puisqu’ils peuvent ressentir la douleur et le plaisir, mais ils ne sont pas des agents moraux, puisqu’ils ne peuvent pas prendre des décisions éthiques (13). Aussi le jugement éthique des actes des non-humains est-il hors de propos.  Si dans une fable,  un renard «maltraite» une cigogne, il ne peut y avoir d’implication morale sur les vies des vrais renards et des vraies cigognes. Dans ce cas, les seules implications morales possibles concernent uniquement les relations humaines ; les animaux non-humains, réduits à des allégories, en sont exclus.  Mais lorsqu’une fable animalière traite des relations entre les humains et les autres animaux, il peut également y avoir des implications morales concernant les relations interspécifiques.  

Comme mentionné plus haut, lorsque dans une fable un humain maltraite un âne, nous pouvons l’allégoriser, mais nous pouvons aussi considérer ce traitement littéralement. Toutefois, les aspects animaliers des fables ne se limitent pas aux descriptions factuelles et au réalisme, les fables animalières peuvent aussi avoir une fonction thématique alternative. Alors que la fonction thématique courante concerne la condition humaine, une fonction alternative pourrait concerner la condition animale et la relation entre les humains et les autres animaux. Examinons, par exemple, la fable d’Esope «Le forestier et le lion» (14) :
Un jour, un forestier rencontre un lion, ils discutent un moment ensemble sans  grande divergence d'opinion. Finalement, une dispute survient sur la question de savoir qui est supérieur de l’homme ou du lion. L’homme, faute d’un meilleur argument, montre au lion un monument en marbre, sur lequel est placée la statue d’un homme enjambant un lion vaincu. «Si c’est votre seul argument,   soyons les sculpteurs , et nous ferons le lion terrassant l'homme ». 

Le sens littéral de la fable manque de réalisme en ce qui concerne la représentation de l'animal non-humain puisque les lions ne parlent pas aux humains et ne sont pas concernés par l’idée de supériorité sur ces derniers. Mais, à ce niveau de signification littérale, les humains sont, en fait,  représentés de manière authentique :  les individus humains et la culture humaine sont effectivement concernés par la supériorité des hommes sur les autres espèces. Aussi pouvons-nous voir l’homme de la fable comme un symbole de l’humanité, tandis que la fonction du lion est de jeter un doute sur l’anthropocentrisme et de le critiquer. Nous pouvons aussi lire cette fable antique à la lumière de la critique canonique. Cette critique expose le fait que la majeure partie des

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13. Regan, Tom. The Case for Animal Rights (Berkley and Los Angeles: University of California Press, 2004) 295.
14. C'est la version choisie par l'auteur qui a été traduite ici : Aesop's Fables, London : A & C Black, 1941, p. 86-7. En français, le fable s'intitule, selon les traductions « De l'homme et du lion » ou « L'homme et le lion voyageant de compagnie». (NdT)