La voix de l'animal...5


Il est important de noter que le fait que les animaux non-humains parlent ne fait pas nécessairement abstraction de leur vécu en le subordonnant au contenu  humain. Il est très difficile de représenter des animaux non-humains, dont la conscience est non verbale, par le biais de l’expression littéraire  qui n’est que littérale, comme l’a formulé Gilian Beer «Comment est-il possible d’être fidèle au vécu animal, même si tel est le souhait, si votre moyen de description est le langage humain écrit ?» (11) . En raison de cette difficulté les animaux non-humains sont,  dans bien des cas, pourvus d’une voix qui n’est pas la leur dans la réalité. Ce phénomène est commun aussi aux œuvres littéraires non-allégoriques, qui ont pour sujet des animaux non-humains. Par exemple, le célèbre roman de Richard Adams Les garennes de Watership Down (11 b) éveille la sympathie envers les vrais lapins, bien que ceux de son roman emploient le langage humain. Leur description - mis à part les éléments anthropomorphiques - contient également de nombreux éléments qui on trait à la vraie vie des lapins, tels que leur lutte pour survivre après que les humains aient fait de leur habitat naturel un chantier de construction. Dans ces cas, les animaux non-humains sont partiellement anthropomorphisés mais leur expérience n’est pas évacuée. En fait, l’anthropomorphisme partiel fonctionne comme un instrument qui nous aide à comprendre le point de vue non-humain.

Dans leur ouvrage de référence sur la métaphore (12), George Lakoff et Marc Johnson  font valoir que l’anthropomorphisme, qui est défini comme l’attribution à un sujet non-humain de caractéristiques humaines, est  une espèce de métaphore, qui se définie comme l‘attribution à un sujet de caractéristiques appartenant à un autre sujet. Nous utilisons des métaphores pour parler de sujets qui ne nous sont pas familiers en des termes familiers et, de même, nous utilisons l’anthropomorphisme pour discuter de sujets non familiers, comme la conscience non verbale, en termes familiers - la conscience verbale humaine. 


La seconde stratégie de lecture : élargir la leçon de la fable

En plus de se concentrer sur le niveau littéral de la fable, construire un niveau thématique alternatif est également possible. Le niveau thématique alternatif ne serait pas axé uniquement sur l’humain, mais questionnerait leur façon de traiter les autres animaux. En fait, la leçon de nombre de fables classiques est présente de manière explicite en tant que partie de la fable, mais la fable ne se réduit pas nécessairement à cette leçon. Dans de nombreux cas, les morales on été ajoutées aux fables à une période ultérieure, et pas par leur créateurs, et beaucoup de fables comportent selon les versions des morales différentes  - et parfois - contradictoires. Par conséquent, j’aimerais suggérer une lecture de la fable dans laquelle le niveau thématique n'éclipse pas  les animaux non-humains.

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11.  Beer, Gillian. "Animal Presences: Tussles with Anthropomorphism", Comparative Critical Studies 2:3 (2005), p. 313, pp. 311-22.
11 b. Adams, Richard. Les garennes de Watership Down, ed. Flammarion (1972).
12.  Lakoff, George & Mark Johnson. Metaphors We Live By (Chicago: The University of Chicago Press, 1980).