La voix de l'animal...3


d’entre elles décrivent des comportements authentiques d’animaux non-humains ou permettent d’avoir un regard critique sur le  traitement des humains envers les autres animaux. Il n’y a pas obligatoirement instrumentalisation des animaux non-humains dans les fables, de même que la lecture traditionnelle des fables qui exclue les protagonistes non-humains n’est pas la seule lecture possible. Je voudrais présenter deux stratégies alternatives de lecture des fables animalières qui ne font pas abstraction des animaux non-humains. Ces stratégies nous permettent de lire au moins certaines fables sans ignorer l’existence ni l’expérience des animaux non-humains. La première stratégie consiste à se concentrer sur le niveau littéral de la fable et la seconde est d’étendre la morale et de l’appliquer,  non seulement au sein de la communauté humaine, mais aussi à nos relations avec les autres animaux. Appliquer ces stratégies au moins à certaines  fables  nous offre une perspective nouvelle sur la condition des animaux non-humains ainsi que sur la relation entre les humains et les autres animaux.

Première stratégie de lecture : se concentrer sur le niveau littéral de la fable

Chaque fable contient deux niveaux - littéral et allégorique. Les animaux non-humains fonctionnent souvent comme les protagonistes du niveau littéral de la fable,  lequel est l’intrigue même du récit,  mais sont exclus du niveau allégorique, qui est considéré comme  la signification de la fable et qui traite exclusivement des humains.  En lisant les fables, nous avons tendance à ignorer leur niveau littéral, en le subordonnant entièrement au niveau allégorique. Toutefois, une affirmation que l’on trouve fréquemment chez les théoriciens de l’allégorie est que celle-ci, comme d’autres textes littéraires, comprend également un niveau de lecture indépendant,  qui ne peut être réduit au seul niveau allégorique. William Empson pose qu’une des fonctions de l’allégorie est de laisser le lecteur sentir que l’œuvre a deux niveaux distincts, qui s’entrecroisent (9). Angus Fletcher argumente dans son ouvrage précurseur (10) que le niveau littéral de lecture de l’allégorie peut être exempt d'intention allégorique et que le lecteur peut s’en tenir là.

Selon les affirmations d’Empson et de Fletcher concernant le statut indépendant des niveaux de lecture des allégories, et puisque la fable est un texte allégorique (en fait, elle est parfois considérée comme le prototype du texte allégorique), je voudrais suggérer une lecture des fables animalières qui se concentre sur leur niveau littéral. Pour illustrer cette option, je voudrais traiter de la célèbre fable d’Esope «D’un rat de ville et d’un rat de village». Dans cette fable bien connue, un rat de ville invite un rat de village à se joindre à lui pour festoyer en ville. Ils se faufilent dans une maison et s’apprêtent à goûter des mets appétissants ;hélas, la porte s’ouvre  soudainement et un être humain entre. Le rat de village est terrifié et  déclare qu’il préfère son  trou modeste mais paisible. Contrairement à beaucoup d’autres protagonistes  non-humains  des  fables,  les rats  se comportent ici  de  façon  tout à fait authentique  ;

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9. Empson, William. Seven Types of Ambiguity (Harmondsworth, Middlesex: Penguin Books in association with Chatto and Windus, 1961), p. 140.
10. Fletcher, Angus. Allegory: The Theory of a Symbolic Mode (Ithaca and London: CornellUniversity Press, 1993).