hommes durant une tempête de neige, mais ils ne sont cependant pas
traités comme des éléments de décor, ni comme les révélateurs de traits de
caractère ou de problèmes humains
mais plutôt comme d’autres êtres vivants et agissants et, en tant que tels,
dignes d’attention.
Un grand cheval pie, le cou tendu en avant et les muscles du dos bandés, marchait à pas mesurés sur la route complètement ensevelie sous la neige, balançait d'un mouvement monotone sa tête velue sous le brancard blanchi, et tendit une oreille couverte de neige lorsque nous passâmes à sa hauteur48.
...le limonier, un bon cheval de grande taille à longs poils, avait trébuché une ou deux fois, bien qu'à chaque fois, effrayé, il eût donné un grand coup de collier et redressé sa tête ébouriffée presque jusqu'à la clochette. Le bricolier de droite...faisait manifestement descendre les rênes et appelait le knout, mais, fidèle à son habitude de bon cheval, et même de cheval un peu vif, il paraissait s'en vouloir de manquer de force, baissait et relevait la tête d'un air furieux, demandant qu'on lui lâchât la bride49.
Au terme de ce
pénible voyage, « le bricolier lui-même
trottait toujours à la même allure, et c'est seulement à son ventre rentré, qui
s'élevait et s'abaissait rapidement, que l'on pouvait juger de son épuisement »50.
Finalement, après s'être perdu pendant un certain temps, ils tombent sur la
piste fraîche « d'un traîneau et d'une troïka ainsi que, par intervalles, les
traces roses du sang d'un cheval qui manifestement se blessait les jambes en
courant »51. Lorsqu'ils
atteignent un abri sûr en ville « Près
de l'auberge se tient une troïka de chevaux gris, dont la sueur fait friser le
poil, les jambes écartées et la tête basse »52.
Au cours de ce
voyage, le narrateur rêve d’une noyade qui a eu lieu dans sa jeunesse. Même
pendant son rêve, qui traite essentiellement de la mort d’un paysan, une
attention marquée est accordée au chien du sauveteur. Voyant son maître entrer
dans l’eau,
Trésor, que la précipitation de son maître rend perplexe, arrêté près de la foule et mastiquant quelques brins d'herbe arrachés sur le rivage, regarde son maître d'un air interrogatif, et soudain, avec un glapissement joyeux, se jette à l'eau en même temps que lui53.
Tandis que le maître
nage vers le noyé « Trésor, suffoquant, revient à la hâte, s'ébroue près de la
foule et s'essuie à l'herbe du rivage en se couchant sur le dos »54.
La vivacité
exubérante du chien face à la mort, bien qu’elle ne soit pas développée dans ce
récit, préfigure un thème que Tolstoï reprendra dans ce qui est peut-être son
plus grand récit « Trois morts » (1859); qui se conclue par la description de
l'exubérance de la végétation, qui exprime l'éternelle résurrection de la vie
face aux morts dépeintes dans le récit.
« Maître et serviteur » (1895), reconnu comme le chef-d’œuvre de Tolstoï est une version plus mature, plus aboutie, de « La tempête de neige ». Là aussi, le sujet apparent est la survie de voyageurs durant une terrible tempête de neige. Cependant, comme dans « Kholstomier, histoire d’un cheval », un sujet plus vaste est développé par le contraste implicite entre le monde naturel, animaux compris, et les faussetés vaines du monde des humains - en particulier, lorsqu'il est régi par l'esprit d'entreprise capitaliste. Comme dans d'autres récits, la plus grande attention est accordée au cheval qui lutte pour survivre aux côtés de son cocher, le paysan Nikita, et de son propriétaire, le capitaliste Vassili Andréïtch.
Lorsqu'il fut sorti d'un pas précautionneux de l'étable encombrée d'un fumier épais, Belle-Face se mit à caracoler et à ruer, faisant mine de vouloir frapper Nikita de son sabot arrière... Après s'être abreuvé d'eau glacée, le cheval soupira, remua ses grosses lèvres mouillées et sa moustache d'où tombaient dans le seau des gouttes transparentes et s'immobilisa soudain, comme pensif : puis brusquement il s'ébroua à grand bruit55.
-> 8
______________
48. L.
Tolstoï, « La tempête de neige », in La tempête de neige et autres récits,
p. 53.
49. Ibid., p. 75.
50. Ibid., p. 85.
51. Ibid., p. 85-86
52. Ibid., p. 86.
53. Ibid., p. 68.
54. Ibid., p. 68.
55. L.
Tolstoï, « Maître et serviteur », La Mort d’Ivan Ilitch, p.
165-166.