Perkins critique
également l’utilisation de l’animal comme métaphore de l’émotion humaine. Le
poème de Shelley «A une alouette » [To a skylark] (1820)8, fait-il
observer, « exalte l’animal pour se lamenter sur la condition humaine », un «
procédé » qu’il trouve « douteux ». « L’animal est juste une métaphore, sans
véritable personnalité »9.
Dans le livre récent
de Coetzee10, le personnage Elizabeth Costello, critique littéraire
adoptant le point de vue des animaux, commente de façon similaire l’utilisation
tropologique chronique des animaux dans la littérature. « Le cycle de la vie de
la grenouille », note-t-elle « peut
paraître allégorique, mais pour les grenouilles elles-mêmes, ce n'est pas une
allégorie, c'est la vie même, la seule »11. Lors d’une conférence qui dévoile son
approche de la littérature du point de vue des animaux, Costello rejette la
littérature dans laquelle « les animaux représentent des qualités
humaines; le lion le courage, le hibou
la sagesse »12 et ainsi
de suite. Dans « The Panther », le poème de Rilke, par exemple, « la panthère
sert de substitut à quelque chose d’autre »13. Comme exemple d’un
poème dans lequel le poète n’utilise pas l’animal métaphoriquement, mais essaie
juste de le représenter, Costello cite « The jaguar » de Hughes. En
représentant le jaguar, dit-elle « Hughes s'efforce à tâtons de parvenir à une
autre modalité d'être-dans-le-monde...[I]l s'agit... non pas de pénétrer à
l'intérieur d'un autre esprit, mais d'habiter un autre corps »14.
En d’autres mots, Hughes, prête réellement attention au jaguar en tant que
jaguar et non en tant que métaphore de la vitesse et de l’agilité humaines, ou
quoi que ce soit d’autre.
Adams, soulignant
l’utilisation envahissante de la métaphore animale, affirme que l'animal réel
ou littéral est ainsi occulté par son signifiant qui fait de lui « un référent
absent »15. Dans une grande partie de la littérature, fait-elle remarquer, les animaux sont en fait
« devenus des référents absents, dont le destin est transmué en une métaphore
de l’existence ou du destin de quelqu’un d’autre…dont la signification
première…est absorbée dans une hiérarchie centrée sur l’humain »16. Les critiques adoptant le point de vue des
animaux peuvent aussi questionner les manques ou les points aveugles, les
erreurs et les lacunes dans les textes où apparaissent des animaux. A titre
d'exemple, Perkins observe que bien que de nombreux romans du passé, ainsi que
des mémoires et des récits de voyage, comportent des voyages en diligence tirée
par des chevaux, ils ne mentionnent « presque jamais » les « souffrances » des
chevaux, qui restent « invisibles pour la plupart des voyageurs ou sont
peut-être considérées par le romancier comme sans rapport avec le thème du
roman »17. Un critique adoptant le point de vue des animaux
peut soulever la question de savoir pourquoi cette souffrance est ignorée ou
refoulée par l’auteur, la réponse probable étant que les présomptions spécistes
permettent cette cécité.
Les critiques
adoptant le point de vue des animaux constatent aussi l’aveuglement passé de la
critique concernant l’existence et la souffrance des animaux. Perkins, par
exemple, fournit une longue liste de spécialistes de Wordsworth qui ont réussi
à commenter son poème « Hart-Leap Well » (1800) sans reconnaître ni réagir aux
souffrances du cerf qui sont pourtant le sujet central du poème. Les commentaires
sur ce poème…montrent que si celui-ci cherche à insuffler de la compassion
envers les animaux, il a été écrit en vain »18. Si ce poème avait
traité d’un humain vulnérable, suppose Perkins, « les interprètes auraient été
moins prompts à atténuer ou ignorer le désespoir de la créature qu’il d’écrit »19.
D’autres
critiques adoptant le point de vue des animaux
Contrairement à ces critiques antérieures qui ignoraient ou minimisaient les souffrances des animaux, le critique Mortensen observe au sujet de ce poème que « pour Wordsworth, la souffrance du cerf est en soi un sujet d'intérêt éthique et pas simplement la métaphore de souffrances humaines plus dignes d’être évoquées »20. En vérité, Mortensen soutient que l’intention de
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8. On peut lire une traduction du
poème de Shelley ici : http://www.poesie.net/alouett2.htm (NdT)
9. D. Perkins, Romanticism and animal rights, p. 147
10. J. M. Coetzee, Elizabeth Costello, 2004.
11. Ibid., p. 295.
12. Ibid., p. 131-132.
13. Ibid., p. 132. On peut lire une traduction du poème de
Rilke ici :
14. Ibid., p 133.
15. C. J. Adams, The sexual politics of meat: A feminist-vegetarian
critical theory.
16. Ibid., p. 42
17. D. Perkins, op. cit. p.105.
18. Ibid., p. 80.
19. Ibid., p. 81.
20. P. Mortensen, Taking animals
seriously: William Wordworth and the claims of ecological romanticisim, p.
303.