par Josephine Donovan
Ces dernières années,
des critiques sensibles à la question animale ont posé les premières bases
théoriques d’une nouvelle orientation de la critique littéraire, une critique
centrée sur les animaux ou adoptant le point de vue des animaux1.
Ces critiques tentent d'examiner les œuvres littéraires sous l'angle du
traitement des animaux, en cherchant souvent à reconstruire le point de vue des
animaux en question. Parce qu’elle est éthique et politique, la critique
adoptant le point de vue des animaux à la manière de la critique marxiste ou
féministe questionne les représentations idéologiques des personnages animaux.
Là où, dans les textes, la critique féministe révèle un sexisme inhérent et la
critique marxiste, un préjugé de classe inhérent, la critique centrée sur
l’animal identifie les représentations et formulations spécistes. Elle critique
l’utilisation métaphorique lorsque celle-ci est anthropocentrique, éludant le
caractère subjectif et la réalité indépendante de l’animal ; de plus, elle
souligne la cécité et le silence des auteurs lorsque les animaux sont traités comme de simples éléments de décor, plutôt que comme des présences
subjectives.
Critiquer
l’exploitation esthétique des animaux - c'est à dire le fait d'utiliser leurs
réalités métaphoriquement ou allégoriquement ou pour commenter de façon
métonymique des situations humaines – revient à critiquer une bonne partie de
la littérature existante. Utiliser ainsi des figures animales dans la
littérature est une pratique consacrée par l’usage. En effet, il est difficile
d’imaginer comment les poètes ou les auteurs de fiction procèderaient s’ils
étaient privés de la métaphore animale. Utiliser la mort et l’agonie des
animaux pour commenter l’état émotionnel d’un protagoniste humain continue
d’être un procédé fictionnel standard.
Les critiques
Les critiques
Le
point de vue des animaux
Récemment, plusieurs
critiques adoptant le point de vue des animaux
ont contesté l’exploitation esthétique de la douleur animale. Dans un
ouvrage novateur dans ce domaine, Scholtmeijer a choisi, comme exemple flagrant
de cette pratique, le traitement des taureaux par Hemingway dans Le soleil se lève aussi.
Les taureaux ne sont
que des objets animés dans un spectacle artistique. Envisagé comme un art, le
spectacle dans l’arène ne fait pas que passer outre la souffrance animale ; en
fait, il la fait disparaître puisque l’événement tout entier n’est qu’une
interaction entre des forces géométriques abstraites2.
Dans un autre ouvrage
pionnier, Norris suggère que dans Mort
dans l’après-midi, Hemingway conçoit la corrida comme une forme d’art, avec
l'artiste en sadique, le « matador faisant littéralement œuvre d'art à partir
de la torture et de la mise à mort »3. Simons, autre précurseur de
la critique adoptant le point de vue des animaux, avance que nous avons besoin
d’un nouveau champ d’étude littéraire qui inclut les « droits des animaux » comme une priorité,
analysant le « texte culturel » pour y trouver « les traces des animaux »4
. Une telle approche, recommande-t-il, cherchera des textes dans lesquels
les animaux ne sont pas « des figures de
substitution pour les humains ». « Le symbole est, peut-être, la forme la plus
courante de représentation des animaux »5 ; Cependant, Simons
proteste : « les animaux ne sont pas des symboles »7.
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1. Les principaux travaux qui tracent cette nouvelle direction
comprennent ceux de Adams (1991), Baker (2001), Donovan (2004), Fudge (2000,
2002), Kowalski (1991), Malamud (1998), Mortensen (2000), Murphy (1995), Norris
(1985), Perkins (2003), Scholtmeijer (1993, 2000), Shapiro et Copeland (2005),
Simons (2002), et Vance (1995). Voir Donovan (2006) pour une analyse
approfondie de la [théorie] du point de vue des animaux.
2. M.
Scholtmeijer, Animal victims in modern fiction: From sanctity to sacrifice, p.
269.
3. M.
Norris, Beasts of the modern imagination: Darwin, Nietzsche, Kafka, Ernst, and
Lawrence, p. 11, 12.
4. J.
Simons, Animal rights and the politics of literary representation, p 5.
5. Ibid.,
p. 6.
6. Ibid.,
p. 115.
7. Ibid.,
p. 7.
* * *
* Essai paru en 2009 dans Society
& Animals (vol. 17, n°1)
sous le titre « Tolstoy’s Animals », traduit par Marceline Pauly et publié
sur le blog Les animaux dans la fiction, avec la permission de l’éditeur BRILL et de Josephine Donovan.
Ill. « Kholstomier,
histoire d’un cheval »,
Tolstoï,
édition russe de 1950
Josephine Donovan, professeur émérite
d'anglais à l'Université du Maine, a écrit de nombreux essais et livres dans
les domaines de la critique littéraire féministe et de l'éthique animale et
co-dirigé, avec Carol J. Adams,
plusieurs ouvrages parmi lesquels :